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    Histoire Vécue

      

    Histoire Vécue - l'éclipse

     

    "I – L’ECLIPSE
     
    Ma première affectation dans le service des Phares et Balises fut au Phare de CORDOUAN, en tant qu’auxiliaire, en remplacement d’un gardien titulaire qui était en longue maladie. Je revenais du service militaire en Algérie : 28 mois. 
    Cela se passait en Mai 1960. Je ne peux pas dire que j’étais complètement dépaysé, étant né au pied d’un phare (le phare de l’Ile d’YEU, en Vendée). Mon père étant lui aussi gardien depuis ma naissance. 
    Pour ce qui concerne le phare en mer, c’était quand même ma première relève. Mais pour la circonstance, j’étais gâté. Le plus ancien phare de France, classé par les Beaux-Arts et construit comme une église. Les premiers gardiens étant des moines. Au milieu de la Nature. Ici, l’élément marin, qui ne me déplaisait pas non plus, car j’ai toujours aimé la Nature et ce qui s’y rattache.
    Ici, ma première histoire concerne les oiseaux.
    Dans un phare isolé, au milieu de l’eau, avec votre compagnon, gardien comme vous, l’être vivant qui suit et vous accompagne dans votre solitude, c’est l’oiseau, avec une petite différence pour lui, c’est qu’il est libre. Mouettes, Goélands, Cormorans, n’ont pas besoin d’attendre le jour et la relève, pour aller faire un tour à terre, si cela leur chante.
    A marée basse, le plateau rocheux où se trouve construit ce phare, à l’embouchure de la Gironde, fait plusieurs hectares. A marée haute, il est immergé. Environ 1,50 m d’eau au pied du phare.
    Seul un banc de sable reste en dehors de l’eau. Il fait environ 100 m de long et 4 à 5 m de large. Il se trouve tout près du phare, environ ½ mille dans le sud Est. Pour les oiseaux c’est le terrain d’atterrissage idéal.
    Tout frais sorti du peloton national, ils m’ont tout de suite rappelé : « Alignement », « Garde à vous », « Repos », car ils ont la particularité d’être alignés comme des soldats, tête bout au Vent et comme ce banc se trouve tout en longueur, on peut imaginer, sans beaucoup d’effort, le défilé du 14 juillet place de la Concorde.
     Pas besoin de chercher d’où vient le vent au degré près, ils vous l’indiquent « Girouette vivante du phare ».
    Les éléments sont en place pour mon histoire. Je ne me rappelle plus très bien si c’était fin Mai ou début Juin 1960. Ce qu’il y a de sûr c’est qu’une éclipse totale de soleil, parfaitement visible, dans la région devait se produire. On en parlait dans la presse écrite, radio, depuis des mois, comme d’un évènement rare. Je puis dire que depuis 27 ans que je suis dans les phares, je n’en ai pas vu d’autres de cette ampleur.
    Mettons-nous dans l’ambiance. L’Eclipse doit avoir lieu vers 8h30, 9h du matin. Fin mai, début juin, le soleil est déjà levé depuis 2 ou 3 heures.
    Ce matin-là, il fait un temps magnifique. Un ciel bleu, pas un nuage. Mon collègue et moi préparons 2 verres fumés pour contrôler sans risque les différentes phases de l’éclipse.
    Transistor en route depuis le lever du soleil où une armada de journalistes stationnés à Royan, nous commentant l’évènement, avec la verve qui les caractérise, chacun leur tour bien sûr.
    Nous arrivons à l’heure fatidique.
    Le speaker (on dirait Léon Zitrone commentant le départ d’une fusée pour la lune) s’égosille comme un perdu. En parlant de lune. Elle est au rendez-vous, elle commence à grignoter le soleil. La luminosité diminue de valeur au fur et à mesure qu’elle nous le cache. Mais le plus spectaculaire, pour nous les gardiens, c’est la réaction des oiseaux.
    Une envolée de deux à trois cents Mouettes et Goélands, tournoyant autour du Phare en criant de plus en plus fort « couvrant la voie du présentateur radio ». Une ambiance de fin du monde ! avec le son et plus : de lumière !
    Le soleil se couche après s’être levé pour une cervelle d’oiseau, c’est un peu fort.
    Heureusement le brouhaha ne dure que l’espace de l’éclipse, la paix revient comme le soleil, aussi appréciable l’un que l’autre. Tout ce petit monde affolé, ailes hérissées, reprend l’alignement militaire. Seuls quelques rouspéteurs héréditaires lancent encore quelques coua ! coua ! coua ! de réprobation.
    Quelle idée de nous avoir dérangés de si bon matin !"

     

    Beau texte écrit par mon père 


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